Lecture jeune, n°123 - Un pavé de 560 pages à propos de la Seconde Guerre mondiale, rien d’attirant au départ. Mais très vite, le choix de la narratrice fait mouche : il s’agit de la mort en personne, non pas la figure galvaudée des récits d’horreur mais un être sensible, compatissant à sa façon, poète à ses heures. Dotée d’un humour particulier et d’un regard décalé, la mort s’exprime avec concision et interpelle le lecteur à l’occasion ! Elle promène ce dernier à travers la « grande Histoire » de 1939 à 1945 (triomphe de la propagande nazie, bataille de Stalingrad, déportation des Juifs, bombardements alliés sur l’Allemagne…). Mais ce qui l’émeut et la hante, c’est le sort des « survivants », des êtres qu’elle a rencontrés et laissés sur terre : Liesel surtout, une fillette allemande « qui sait ce qu’être abandonnée veut dire ». Confiée par sa mère à un couple nourricier, Liesel tisse des liens de grande tendresse avec son père adoptif, des liens forts avec sa nouvelle maman qui pourtant la rudoie, avec Rudy, un petit voisin qui se prend pour Jesse Owens. Le lecteur découvre grâce à elle la survie au quotidien d’une bourgade proche de Munich, ses nazis arrogants et ses résistants de l’ombre. Les vols de livres ponctuent les grands moments de sa vie rue Himmel, leur lecture la sauve du naufrage, les mots sont sa nourriture, sa source d’énergie ; ils la « ramènent à la vie » même quand les coups du sort s’acharnent sur elle. Markus Zusak anime avec justesse et sensibilité une galerie de personnages dont la rencontre avec les déchaînements de l’Histoire bouleverse le lecteur. Au fil d’un récit savamment structuré, plein d’ellipses, de retours en arrière, il braque le projecteur sur les différents protagonistes et joue avec les paradoxes (un Juif sauvé par Mein Kampf !). Ce roman surprenant, très émouvant, variation originale sur le rôle des mots et des livres, sans concession aux modes éditoriales, a trouvé un large public (adolescent et adulte) hors de nos frontières. Gageons qu’il en sera de même en France, ce ne serait que justice ! Marie-Françoise Brihaye