Nous vivons dans un monde où l'efficacité impose sa tyrannie. En confondant, volontairement ou non, être heureux et "fonctionner", aimer et prendre plaisir, orgasme et passion, temps et instant, en s'acharnant à projeter sur les écrans publics l'intime et le secret, en voulant tout nommer, tout avouer, n'est-ce pas un peu de l'être humain qu'on altère? Il se pourrait que nous soyons moins fous qu'auparavant, mais nos corps, eux, prennent leur revanche en étant de plus en plus malades de nos émotions bafouées ou étouffées. Parce que nous sommes terrifiés par la solitude, ce face-à-face avec nous-mêmes, nous avons pris le parti de nous distraire. Et la fatigue a remplacé en nous la tristesse. Façon de nous bercer de l'illusion que la source de nos malaises se situerait à l'extérieur de nous. Nous dorlotons, nous soignons davantage nos corps pendant que notre âme esseulée crie au secours. Cet essai a l'ambition de réhabiliter le mot "âme", devenu suranné en raison de l'évacuation des références religieuses dans un monde rationalisé; c'est pourtant le seul terme qui recouvre la sensibilité; la conscience, la morale et les sentiments. Or beaucoup agissent aujourd'hui comme si l'idéal consistait à n'en plus avoir. Ce livre évalue le prix de ce choix, en même temps qu'il montre la voie pour retrouver les paroles et les gestes de l'intimité et rouvrir les vannes de l'émotion.