La nuit nous a surpris

Lecture jeune, n°119 - Kien Nguyen, l’auteur de ce récit autobiographique, a huit ans en 1975 quand les troupes vietcongs entrent à Saïgon. C’est la fin d’une vie heureuse dans la villa de sa mère, belle et riche femme d’affaires vietnamienne, compromise par l’existence des deux garçons blonds et bouclés qu’elle a eus d’officiers américains. Persécutée plus que d’autres par les nouvelles autorités, et par son entourage, réduite à une misère extrême dont il lui est interdit de sortir, Khuon se bat avec pugnacité. Elle ne s’autorise aucune faiblesse et se montre intraitable avec Kien. De ce petit garçon, elle fait l’homme de la famille, celui qui doit endosser avec elle les responsabilités au prix de souffrances et de privations inouïes. Kien prend en charge Jimmy et sa petite soeur handicapée. Dix années s’écoulent, emplies de faux espoirs, entre prisons et camps de redressement. Chaque fois qu’un éclair d’amitié apparaît, il est immédiatement balayé. C’est seulement en 1985, quand les Américains autorisent les métis à immigrer, que Kien prend conscience de ce que cachait la rigueur draconienne de sa mère : elle vendait son corps et son sang pour permettre à sa famille de subsister. Voici une page d’histoire, certes, mais aussi la trajectoire saisissante de deux êtres : Khuon, femme légère se transformant en tigresse pour sauver les siens, et Kien, apprenant au fil du temps à maîtriser sa soif d’affection. Ce personnage offre un très bel exemple de maturation : au gré des péripéties dramatiques, il passe de l’enfance à l’adolescence, puis à l’âge adulte. La dureté des propos et l’écriture soutenue – servie par une élégante traduction – réservent ce poignant ouvrage à des lecteurs avertis. ? Michelle Brillatz